Garonne et estuaire de la Gironde : nos cours d’eau débordent-ils de polluants ?

L’estuaire de la Gironde, lieu de rencontre entre la Garonne, la Dordogne et l’océan, est un écosystème précieux. Mais comme tous les estuaires de France, il est soumis à la pression des activités humaines. Et une des premières conséquences de ces activités est la dégradation de la qualité de l’eau. On y retrouve notamment des substances chimiques en infime quantité, mais potentiellement nocives pour la vie aquatique et la santé humaine. On parle de « micropolluants ». Qu’en est-il précisément dans l’estuaire de la Gironde ? Et dans la Garonne ? Nos cours d’eau sont-ils vraiment pollués ?

Un écosystème sous pression

L’estuaire de la Gironde est un écosystème dynamique et complexe. Il s’étend sur près de 75 kilomètres, formant ainsi le plus grand estuaire d’Europe occidentale. Mais derrière cette splendeur naturelle se cache une menace croissante et invisible : la pollution. Les deux principaux fleuves, la Garonne et la Dordogne, drainent avec leurs affluents un vaste territoire où se mêlent villes, industries, agriculture et élevage. Les eaux de l’estuaire sont le réceptacle de toutes ces activités.


Le projet CONTROL* mené par le SMIDDEST (Syndicat Mixte pour le Développement Durable de l’Estuaire de la Gironde) en collaboration avec l’Université de Bordeaux, a permis de suivre plusieurs points le long de l’estuaire et de ses affluents, pour analyser la présence de micropolluants chimiques organiques [1].

Un tableau surprenant et peu réjouissant

Des échantillons d’eau prélevés à divers endroits durant un à deux ans, ont révélé la présence de plus de 70 substances polluantes différentes (sur 80 substances organiques recherchées) !

Le département de la Gironde étant le plus gros acheteur de pesticides en France [2], on retrouve sans surprise des pesticides dans l’estuaire de la Gironde. Utilisés largement en agriculture (et viticulture) pour protéger les cultures, ils sont également utilisés dans des applications non agricoles telles que la lutte contre les nuisibles à domicile (par exemple les moustiques, les puces des animaux domestiques…) ou dans l’industrie (lutte contre les rongeurs, les blattes…).

Mais étonnamment, dans l’estuaire de la Gironde, ce sont les médicaments et les phtalates qui remportent la première place du classement, devant les pesticides ! Les médicaments sont utilisés quotidiennement par les humains, mais aussi en santé animale. Qu’ils transitent ou non par des stations d’épuration, leurs résidus se retrouvent en bout de course dans les milieux aquatiques. Quant aux phtalates, ils sont présents dans de nombreux produits du quotidien qui finissent eux aussi dans le réseau des eaux usées de par nos utilisations, puis dans l’environnement.

On retrouve aussi des conservateurs, des retardateurs de flamme, des solvants, des métaux lourds comme le cadmium et le cuivre [3] en concentration importante ; un beau « bouillon de polluants » dont les origines sont très diverses. Et l’on constate que les activités domestiques et urbaines sont autant en cause que les activités agricoles ou industrielles !

Si les stations de traitement des eaux usées éliminent certains contaminants, elles ne sont pas en capacité de tout éliminer. De plus, il arrive que lors de périodes de surcharge causées par des pluies intenses, les eaux soient rejetées dans les milieux aquatiques sans traitement. Les polluants issus des activités urbaines et domestiques sont ainsi déversés dans les cours d’eau, au même titre que les substances issues des activités agricoles ou industrielles. On est donc vraiment tous concernés.

Substances critiques, voilà le « hic » !

Parmi les 70 substances identifiées, 27 substances sont dites « critiques » parce qu’elles présentent un risque d’écotoxicité important pour l’environnement, ou alors, parce qu’elles sont mesurées en concentration très élevée.

On peut citer par exemple :

• des pharmaceutiques : le Carbamazépine, un antiépileptique persistant dans l’eau, le Venlafaxine, un anti-depresseur, le Diclofénac et le Kétoprofène, deux anti-inflammatoires couramment utilisés, et le Paracétamol, l’anti-douleur par excellence ;

• des pesticides : le Métolachlore et le Métazachlore, deux herbicides utilisés en agriculture dont les concentrations dépassent parfois les seuils de toxicité pour les organismes aquatiques, le fameux herbicide Glyphosate, le Fipronil, un antiparasitaire domestique utilisé contre les fourmis, blattes/cafard, termites, puces de nos animaux domestiques, ou encore la Perméthrine ou l’Imidaclopride en traitement contre la gale, les acariens, les blattes, les termites, les puces ;

• des phtalates : le DBP (n-butyl phtalate) et le DiBP (Diisobutyl phtalate) présents dans les plastiques, vernis à ongles, encres, emballages alimentaires, qui présentent un risque élevé pour les écosystèmes ;

• des bisphénols/parabènes : Bisphénol A et Ethyl-paraben, conservateur très utilisé par le passé dans les produits cosmétiques et pharmaceutiques.

Parmi ces substances, certaines sont réglementées ou en passe de l’être en raison de leur caractère de « perturbateur endocrinien » (par exemple certains phtalates) ou cancérigène (comme certains pesticides).

On peut noter aussi une présence importante de caféine dans l’estuaire ! Si elle n’est pas considérée dans cette étude comme une substance critique, son impact sur les animaux et les organismes aquatiques n’est toutefois pas neutre.

Et la Garonne dans tout ça ? L’étude a révélé que la Garonne est plus contaminée que la Dordogne, probablement en raison de l’importance des activités agricoles et urbaines sur son bassin versant (elle traverse en effet les métropoles de Toulouse et Bordeaux). Les cours d’eau latéraux font également l’objet de suivis spécifiques, avec pour certains des concentrations préoccupantes en métaux lourds [3] certainement issus des activités agricoles et autoroutières, ou en perfluorés (PFAS) sur le Magudas par exemple.

Tous concernés : l’urgence de passer à l’action

Nombre de ces substances ont un lien direct avec nos usages domestiques, à commencer par la caféine.

Les « pesticides » par exemple, incluent des usages agricoles, mais aussi des usages par des particuliers ou les professionnels dans le secteur de la lutte contre les nuisibles, dans le secteur du bois, du bâtiment… Certains pesticides sont également présents dans des produits vétérinaires (dans les anti-puces par exemple) ou dans des médicaments (contre les poux ou la gale). En effet, les substances actives peuvent être les mêmes malgré des usages et des réglementations différentes.

Alors, qui a dit que nous ne pouvions rien changer à notre échelle ?! Même s’il est parfois difficile de détecter toutes ces substances dans les produits de consommation courante ou de faire « sans » ces produits, certaines mesures peuvent toutefois être mises en place, à l’échelle individuelle et collective.

Les résultats du projet CONTROL ont justement servi de base pour mettre en place un plan d’actions visant à réduire la pollution et à protéger cet écosystème fragile. Parmi les mesures envisageables, on peut citer :

• la sensibilisation des professionnels et du grand public aux micropolluants et aux possibles changements de pratiques vers l’utilisation de produits moins polluants et vers une meilleure gestion des déchets ;

• la réduction de l’usage des pesticides en agriculture en favorisant des pratiques plus respectueuses de l’environnement ;

• l’amélioration du traitement des eaux usées pour éliminer plus efficacement les micropolluants (mais ce traitement aura évidemment un coût important) ;

• la mise en place de systèmes pour réduire les déversements d’eaux usées non traitées lors d’évènements pluvieux (comme des bassins de rétention) ;

• une meilleure gestion des déchets pharmaceutiques dans les établissements de santé ;

• une surveillance renforcée des 27 substances critiques identifiées et la mise en place de normes de qualité environnementale.

La protection de l’estuaire de la Gironde et des cours d’eau est un défi collectif qui nécessite l’implication de tous les acteurs du territoire. Des actions concrètes et coordonnées peuvent amener une différence significative. D’autant plus qu’avec le changement climatique et la baisse de débit des cours d’eau, la qualité des milieux aquatiques va être fortement dégradée. Il est donc urgent d’agir ! En réduisant les intrants phytosanitaires, en améliorant la gestion des déchets, en renforçant le traitement des eaux, en règlementant l’usage des substances nocives et en sensibilisant l’ensemble des acteurs locaux, nous pouvons réduire notre impact sur ces environnements exceptionnels et vitaux.

Pour agir au quotidien, vous trouverez sur notre site des outils et solutions pour réduire l’impact de nos usages sur l’environnement.

Toutes nos sources

  1. Rapport réalisé en 2019-21 par le SMIDDEST dans le cadre du projet CONTROL pour le compte de la CLE du SAGE « Estuaire de la Gironde et milieux associés ». Il présente les résultats issus du suivi de la contamination de l’estuaire mené en 2018/2020 en collaboration avec l’Université de Bordeaux : https://www.smiddest.fr/media/20982/2021_projet_CONTROL_rapport_estuaire_vf.pdf
  2. Cartographie « Geophyto » réalisée par Générations futures (2024) : https://www.generations-futures.fr/geophyto/
  3. Rapport élaboré par le SMIDDEST pour le compte de la CLE du SAGE « Estuaire de la Gironde et milieux associés » sur la « Contamination chimique de l’estuaire de la Gironde et des cours d’eau latéraux à forts enjeux du SAGE Estuaire » (2017) : http://www.smiddest.fr/media/10622.pdf
    Rapport « La contamination par le cadmium en Gironde et son extension sur le plateau continental » par Boutier Bernard, Chiffoleau Jean-Francois (1986) :  https://archimer.ifremer.fr/doc/00105/21583/

Pour aller plus loin

*CONTROL : CONcenTRations en POLluants dans l’Estuaire et ses cours d’eau latéraux

Article rédigé par Claire Moras et Alexia Calandreau (Ceseau). Merci à Juliette Gaillard (SMIDDEST) et Zoé Konopacki (Ceseau).

Crédits photos :  Pixabay –  macaccro, momolebo2020

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la Politique de confidentialité, ainsi que les Conditions de service Google s’appliquent.

Centre de préférences de confidentialité

Necessary

Advertising

Analytics

Other

Restez informé

Inscrivez vous à notre newsletter

Recevez les informations régulières de l’association et de nos actions.